NOTRE HISTOIRE
À l'origine d'Antidote, il y a une quinzaine de personnes familières des expériences et modes de vie collectifs. Aucun·e expert·e ni juriste parmi nous. Simplement des individus convaincus que la propriété privée n'est pas la bonne recette pour gérer des lieux partagés. Que le Droit est un terrain de lutte qu'il serait préjudiciable d'abandonner à nos gouvernants. Et que l'on est toujours plus fort·es et malin·es à plusieurs.
Point de départ
Tout commence en 2012, lorsque des collectifs paysans, installés dans diverses régions de France, se retrouvèrent pour débattre de problèmes juridiques. Le dilemme qu'ils rencontraient pourrait se résumer ainsi : comment utiliser les statuts de droits existants afin qu'ils correspondent le mieux (ou le moins mal) à nos pratiques de mise en commun ?
Ces rencontres enrichissantes et joyeuses devinrent régulières. Propriété, activités, services, habitations... toutes les questions relatives à la vie collective étaient abordées. En 2016, émergea l'idée d'utiliser un fonds de dotation pour prendre en charge la propriété de lieux collectifs. Quelques membres du réseau décidèrent de s'y atteler. Plusieurs personnes motivées par la démarche les rejoignirent.
Ce fut le début d'Antidote.
Le constat de départ est évident : les formes de vie que nous inventons ne sont pas à l'aise dans les habits du Droit français. Pensé et écrit par des bourgeois, qui venaient de prendre à la noblesse son fauteuil dans un but simple – garantir suffisamment de liberté pour favoriser le commerce et protéger la propriété privée –, le Code Civil n'est pas le meilleur outil qui soit pour fabriquer des pots communs.
Bâtir des alternatives aux modèles dominants – c'est-à-dire, par exemple, habiter des immeubles sans loyers, travailler dans des organisations sans patron·nes, fertiliser des terres sans héritier·ères, utiliser un atelier, une boutique un garage, une cuisine, un bar, une salle de spectacle ou tout autre espace dont on a fait disparaître cet élément d'ordinaire indispensable au décor : le propriétaire – bâtir cela donc, c'est d'abord évoluer aux marges du Droit. Et bien souvent, tenter de faire rentrer des ronds dans des triangles.
Collectif et propriété : le grand dilemme
Nous nous sommes vite intéressé·es à la propriété foncière, pour ainsi dire la « mère » de tous les droits de propriété.
Première raison évidente : tout collectif qui s'installe en un lieu doit, à un moment ou un autre, s'il veut pérenniser son occupation ou la nature particulière de ce lieu, se confronter à la question de sa propriété. Et aux moyens de la régler.
Deuxième raison : ces moyens, que le Droit met à notre disposition, ne font souvent que déplacer ou reporter le problème à plus tard. Ou pire, ils sont le facteur aggravant qui transforme une discorde interpersonnelle en effondrement du projet tout entier.
Nous savons de quoi nous parlons.
Nous avons été témoins de plusieurs échecs de projet collectif. Parfois, nous les avons vécus. Bien souvent, dès les premières années d'existence. Certain·es d'entre-nous ont même vu des discordes se muer en procès épuisants.
Des bricolages administratifs mal pensés, nous en avons monté. Jusqu'à épuisement des acronymes : SCI, GFA, association, SAS, indivision... et même des savants mélanges de ces différentes formules. Nous avons à peu près tout essayé. Avec à chaque fois le même écueil (plus ou moins gros selon les formules), la même contradiction dans les termes : confondre propriété collective et assemblage de petites parts privés.
Ce principe de l'actionnariat foncier, cette faculté de pouvoir dire « ma part », cette façon de se représenter 5 hectares de verger, un immeuble de trois étages ou un atelier de menuiserie comme un simple « fromage » qu'on peut se diviser si tant est que l'on trouve un couteau assez grand, voilà le cancer des installations collectives.
Le commun comme antidote
Le fonds de dotation nous est alors apparu comme un possible « antidote » à cette maladie du compte et de la division qui touche les installations collectives. En effet, dans un fonds de dotation, il ne peut y avoir de part. On ne peut que lui donner (de l'argent, des biens meubles et immeubles) sans contrepartie. Et comme disent les enfants, « donner, c'est donner ; reprendre, c'est voler ».
Plutôt qu'encourager chaque collectif à réaliser ses projets fonciers avec chacun son fonds de dotation, nous avons émis l'idée d'une structure nationale qui, en plus de sécuriser une multitude de lieux et d'être un outil de collecte efficace, favoriserait de larges coopérations entre militant·es d'horizons divers.
Pour autant, ce fonds de dotation ne pouvait constituer une nouvelle forme de pouvoir pyramidale, si bien intentionnée soit-elle. Nous ne voulions pas qu'il y ait des décideur·euses et des bénéficiaires. Nous voulions qu'il n'y ait que des usager·ères. Une structure où chacun et chacune prennent une part active, égale à la gestion de ce qui est entre leurs mains.
Nous voulions un Commun.
Ainsi est né Antidote.